Quoi de neuf sur le pupitre – Novembre 2014

Quelques nouvelles de cet Automne…
En vrac: une île de Beauté, un hymne
identitaire, un violoniste mythique
et le politiquement correct musical actuel.


DIO VI SALVE REGINA

C’était la première fois que moi et ma harpe posions les pieds en Corse… j’ai été éblouie! Le paysage bien sûr, l’âme Corse aussi.
Un petit compte rendu en image:
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Pour le public Corse, j’ai joué un bis très particulier: le Dio Vi Salvi Regina. Ce chant marial originaire d’Italie a été proclamé hymne Corse en 1735, la toute nouvelle nation Corse étant sous la protection de la Sainte Vierge. Ce chant symbolise pour les Corses la protection, leur attachement à la religion et aux chants, à leur culture, à leur patrimoine… C’est toute leur identité, chantée à pleine voix. Ce chant s’écoute (et se chante) debout, et je vous avoue que l’émotion pour moi était forte.
Voici le lien vers une vidéo du bis en question:
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J’ai trouvé un article intéressant qui retrace l’historique de ce chant :

AUGUSTIN DUMAY, UN VIOLONISTE EMBLÉMATIQUE

Il est vrai que je ne joue pas souvent en orchestre, mais cette fois-ci, je n’ai pu refuser : j’ai été demandée par Joachim Jousse, un chef d’orchestre d’une rare finesse. Il a été l’assistant de Kurt Mazur à l’orchestre National de France et je serais venue pour le plaisir de jouer avec lui quel qu’aurait été le programme. Cependant l’offre était magnifique : il s’agissait de jouer la « méditation » de l’opéra Thaïs de Massenet ainsi que  « Tzigane » de Maurice Ravel, un petit bijou pour violon et orchestre. Or, la partie de harpe est si importante que nombreux chefs et violonistes demandent à mettre la harpe en position de concerto. Il y avait déjà de quoi être enthousiaste.
Mais surtout… J’ai eu le grand honneur de jouer avec Monsieur Augustin Dumay, l’un des musiciens que j’admire le plus.
Ensemble Orchestral les voyages extraordinaires – Direction Joachim Jousse

Augustin Dumay est un des grands violonistes de notre siècle, issu de la grande tradition classique d’Eugène Isaÿe. Il a été découvert par le grand public grâce à Herbert von Karajan qui l’a invité à jouer lors d’un concert de gala à Paris. Il a enregistré une quarantaine d’albums qui ont reçu des prix prestigieux. Pour les connaisseurs : Grammophon Awards, Audiophile audition, Preis der deutschen Schallplatten- kritik, Grand Prix du Disque, The Record Acade- my Award. Son enregistrement des sonates de Beethoven avec Maria Joao Pires est à classer parmi les incontournables.

Si vous ne connaissez pas, je vous engage à aller visiter son site : www.augustindumay.com
Et surtout à l’écouter : j’ai mis des liens vers ses vidéos sur ma chaine Youtube.
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On se détend…

Ceci est une nouvelle rubrique : je laisse courir mes doigts sur le clavier, je vais forcément être de mauvaise foi. Forcément faire des digressions. Peut-être même me contredire… Il est possible que je ne la garde pas, cette section, c’est un essai… advienne que pourra.
Vous notez déjà … c’est tout à la fin, quand j’espère que votre attention se relâche…
Le thème d’aujourd’hui :
«  j’ai un projet, mais ça ne va pas plaire au petit monde musical. »
Dans le milieu des musiciens et des musicologues , c’est une guerre ancestrale, (déjà les séparer en deux mondes n’a pas grand sens à mon avis, mais respectons le vocabulaire approprié), dans le monde des musiciens et des musicologues, disais-je, il est une question épineuse qui est celle de la transcription.
Transcrire un morceau, c’est le jouer à un autre instrument que celui pour lequel il a été composé.
Résumons la pensée actuelle : un compositeur écrit une œuvre, elle devient sacro-sainte, et il est sacrilège d’en changer un iota, de ne pas « respecter la volonté créatrice de l’auteur ». Alors, pensez, changer d’instrument… Je pourrais m’étendre des heures sur les variations climatiques qu’a connu au cours de l’histoire le fameux « respect dû aux créateurs ». N’y voyez absolument aucune agressivité envers les créateurs eux-mêmes. Voyez-y clairement un « fichez-nous la paix » adressé à ceux qui veulent régir notre façon de goûter, de percevoir, de s’approprier une œuvre d’art.
Restons dans le domaine pur de la transcription. A l’époque de Bach, de Vivaldi, on jouait de la musique… les instrumentations changeaient selon les lieux, les ressources de l’orchestre. Combien a-t-on de versions des opéras de Bellini ?  Berlioz lui-même traversait toute l’Europe, ses partitions sous le bras, occupé à annoter, à corriger, à réécrire sa Fantastique pour le prochain concert.
Et le père de la transcription… Lizst, qui a tout de même transposé les 9 symphonies de Beethoven au piano. (Sur 700 œuvres de Lizst, environ 350 sont des transcriptions.)
Je ne vais pas résistera une belle digression :
Je me souviens avoir postulé à un job d’étudiant dans un musée de la musique (j’essaye d’être évasive, ce n’est pas commode). Ce lieu de conservation n’était peut être pas le l’endroit idéal pour soulever un timide «  Mais, et si c’est beau ? » à la question vaste question posée : transcrire, adapter des œuvres ne va-t-elle pas les tuer?
Histoire que la plaisanterie soit complète : cet employeur possible m’a cité le groupe world « Deep Forest » et ses remaniements des musiques folkloriques, sans savoir que j’étais mariée à leur guitariste. S’en est suivi un exclamatif « et pourquoi pas le concerto Brandebourgeois à l’accordéon ! »
C’est là qu’est intervenu mon timide : « mais, et si c’était beau ?»
C’est là qu’est intervenue la porte.
Passons.
La question se pose souvent pour nous, harpistes, car il est des compositeurs que nous admirons, dont les œuvres nous font rêver mais que nous n’aurons jamais sous les doigts.
Cette question «  vais-je ou non intégrer des transcriptions à mon disque, mon récital » devient une véritable prise de position politique, d’une part à cause de cette position tout à fait moderne quant à la recherche d’une interprétation « originelle », et d’autre part à cause du  sempiternel : « oui, vous êtes bien obligé(e)s de jouer des transcriptions, puisqu’il n’y a pas assez de répertoire à la harpe. »
Forte de mes quinze ans de carrière soliste….
Forte de ma position plus affirmée à propos de ce qui est réellement important pour une oeuvre d’art…
Tenterais-je un …
« …  Et si c’était beau? … »
Tout ça pour dire qu’un morceau mythique de Liszt est sur mon pupitre, et que je risque fort de l’enregistrer pour mon prochain album.
Les pianistes ne vont pas aimer.
Les puristes vont détester.
Mais qu’est ce que je me régale !
Je n’en dis pas plus … la suite au prochain numéro.
D’ici là … Ouvrez grand les oreilles, écoutez le monde murmurer.