Augustin Dumay est un des grands violonistes de notre siècle, issu de la grande tradition classique d’Eugène Isaÿe. Il a été découvert par le grand public grâce à Herbert von Karajan qui l’a invité à jouer lors d’un concert de gala à Paris. Il a enregistré une quarantaine d’albums qui ont reçu des prix prestigieux. Pour les connaisseurs : Grammophon Awards, Audiophile audition, Preis der deutschen Schallplatten- kritik, Grand Prix du Disque, The Record Acade- my Award. Son enregistrement des sonates de Beethoven avec Maria Joao Pires est à classer parmi les incontournables.
Et surtout à l’écouter : j’ai mis des liens vers ses vidéos sur ma chaine Youtube.
Ceci est une nouvelle rubrique : je laisse courir mes doigts sur le clavier, je vais forcément être de mauvaise foi. Forcément faire des digressions. Peut-être même me contredire… Il est possible que je ne la garde pas, cette section, c’est un essai… advienne que pourra.
Vous notez déjà … c’est tout à la fin, quand j’espère que votre attention se relâche…
Le thème d’aujourd’hui :
« j’ai un projet, mais ça ne va pas plaire au petit monde musical. »
Dans le milieu des musiciens et des musicologues , c’est une guerre ancestrale, (déjà les séparer en deux mondes n’a pas grand sens à mon avis, mais respectons le vocabulaire approprié), dans le monde des musiciens et des musicologues, disais-je, il est une question épineuse qui est celle de la transcription.
Transcrire un morceau, c’est le jouer à un autre instrument que celui pour lequel il a été composé.
Résumons la pensée actuelle : un compositeur écrit une œuvre, elle devient sacro-sainte, et il est sacrilège d’en changer un iota, de ne pas « respecter la volonté créatrice de l’auteur ». Alors, pensez, changer d’instrument… Je pourrais m’étendre des heures sur les variations climatiques qu’a connu au cours de l’histoire le fameux « respect dû aux créateurs ». N’y voyez absolument aucune agressivité envers les créateurs eux-mêmes. Voyez-y clairement un « fichez-nous la paix » adressé à ceux qui veulent régir notre façon de goûter, de percevoir, de s’approprier une œuvre d’art.
Restons dans le domaine pur de la transcription. A l’époque de Bach, de Vivaldi, on jouait de la musique… les instrumentations changeaient selon les lieux, les ressources de l’orchestre. Combien a-t-on de versions des opéras de Bellini ? Berlioz lui-même traversait toute l’Europe, ses partitions sous le bras, occupé à annoter, à corriger, à réécrire sa Fantastique pour le prochain concert.
Et le père de la transcription… Lizst, qui a tout de même transposé les 9 symphonies de Beethoven au piano. (Sur 700 œuvres de Lizst, environ 350 sont des transcriptions.)
Je ne vais pas résistera une belle digression :
Je me souviens avoir postulé à un job d’étudiant dans un musée de la musique (j’essaye d’être évasive, ce n’est pas commode). Ce lieu de conservation n’était peut être pas le l’endroit idéal pour soulever un timide « Mais, et si c’est beau ? » à la question vaste question posée : transcrire, adapter des œuvres ne va-t-elle pas les tuer?
Histoire que la plaisanterie soit complète : cet employeur possible m’a cité le groupe world « Deep Forest » et ses remaniements des musiques folkloriques, sans savoir que j’étais mariée à leur guitariste. S’en est suivi un exclamatif « et pourquoi pas le concerto Brandebourgeois à l’accordéon ! »
C’est là qu’est intervenu mon timide : « mais, et si c’était beau ?»
C’est là qu’est intervenue la porte.
Passons.
La question se pose souvent pour nous, harpistes, car il est des compositeurs que nous admirons, dont les œuvres nous font rêver mais que nous n’aurons jamais sous les doigts.
Cette question « vais-je ou non intégrer des transcriptions à mon disque, mon récital » devient une véritable prise de position politique, d’une part à cause de cette position tout à fait moderne quant à la recherche d’une interprétation « originelle », et d’autre part à cause du sempiternel : « oui, vous êtes bien obligé(e)s de jouer des transcriptions, puisqu’il n’y a pas assez de répertoire à la harpe. »
Forte de mes quinze ans de carrière soliste….
Forte de ma position plus affirmée à propos de ce qui est réellement important pour une oeuvre d’art…
Tenterais-je un …
« … Et si c’était beau? … »
Tout ça pour dire qu’un morceau mythique de Liszt est sur mon pupitre, et que je risque fort de l’enregistrer pour mon prochain album.
Les pianistes ne vont pas aimer.
Les puristes vont détester.
Mais qu’est ce que je me régale !
Je n’en dis pas plus … la suite au prochain numéro.
D’ici là … Ouvrez grand les oreilles, écoutez le monde murmurer.